Personnalisé ou programmé ? La fausse promesse de l’IA dans l’éducation, avec Carlos Magro

  • Jordi Torras
  • Podcast

Bienvenue sur le podcast Torras AI, où Jordi explore l’intersection de l’intelligence artificielle, de la technologie, de la cybersécurité et de l’innovation en entreprise à travers des conversations éclairantes avec des voix majeures du domaine. Dans cet épisode, Jordi s’entretient avec Carlos, président de l’Asociación Educación Abierta et co-auteur du livre IA y Educación. Una relación con costuras, pour discuter de la façon dont l’IA transforme le paysage éducatif, des risques liés à la surenchère autour du rôle de la technologie, et de l’importance de préserver l’essence humaine de l’apprentissage dans un monde de plus en plus automatisé.


Jordi : Bienvenue sur le podcast Torras AI, l’espace où nous échangeons avec des leaders et des experts sur l’intelligence artificielle, la technologie, la cybersécurité et l’innovation en entreprise. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de recevoir Carlos, président de l’Asociación Educación Abierta, consultant en innovation éducative et co-auteur du livre « IA y Educación. Una relación con costuras ». Carlos analyse depuis des années l’impact de la technologie sur l’éducation avec un regard critique et réfléchi. Il nous invite à aborder l’IA dans l’éducation avec profondeur, contexte et intention. Carlos, c’est un plaisir de t’accueillir.

Carlos : Merci Jordi. Je suis ravi d’être ici et de partager cet espace avec toi.

Parcours professionnel et origines

Jordi : Avant d’entrer dans le vif du sujet, parle-nous un peu de toi. Comment ton parcours professionnel t’a-t-il mené à devenir l’une des voix les plus influentes dans la conversation sur l’éducation et la technologie ?

Carlos : Ma carrière a été, comme beaucoup, assez imprévue. J’ai commencé par étudier la physique, en particulier la physique théorique, mais en parallèle j’ai suivi la géographie et l’histoire. Cela montrait déjà ma curiosité pour plusieurs domaines. J’ai d’abord travaillé dans le tourisme, mais il y a environ 25 ans, je suis entré dans le secteur de l’éducation. J’ai travaillé avec le gouvernement régional de Madrid et, depuis, j’ai collaboré avec des universités, des écoles de commerce et des projets indépendants. Avec le temps, je suis passé d’un travail pratique à une analyse plus réflexive. Je me sens très à l’aise là où je suis aujourd’hui.

Sur les promesses passées de la technologie éducative

Jordi : Dans ton article « IA y Educación : ¿esta vez sí funcionará ? », tu expliques comment l’IA répète les promesses des technologies éducatives précédentes qui ont échoué. Que devrions-nous faire différemment cette fois pour éviter de répéter les mêmes erreurs ?

Carlos : Tout d’abord, faisons moins de promesses. L’éducation est profondément influencée par des facteurs socio-économiques et culturels. Chaque nouvelle technologie est perçue comme une solution potentielle à des défis complexes, mais l’histoire nous montre des cycles répétés de promesses excessives et de résultats décevants. Qu’il s’agisse d’éliminer la bureaucratie ou de personnaliser l’apprentissage, de nombreuses technologies ont promis une révolution et n’ont pas tenu leurs promesses. Avec l’IA, on retrouve les deux mêmes promesses : l’apprentissage personnalisé et le gain de temps pour les enseignants. Si l’IA peut aider sur certains aspects, attendre d’elle qu’elle transforme entièrement l’éducation est irréaliste. Il faut l’aborder avec plus de modestie et d’esprit critique.

Jordi : Cela me rappelle des tendances technologiques comme la programmation orientée objet ou l’Agile. Chacune est arrivée avec de grandes promesses, mais les transformations réelles ont été bien moins spectaculaires.

Carlos : Exactement. Et la surenchère suivie d’une sous-utilisation est un schéma récurrent dans la technologie éducative. Les technologies qui prétendent résoudre des défis profondément humains et culturels ignorent souvent la complexité de leur mise en œuvre. Chaque solution introduit de nouveaux défis. C’est quelque chose qu’il faut reconnaître dès le départ.

Efficacité vs valeurs humaines dans l’éducation

Jordi : Tu as mis en garde contre le fait que l’IA renforce une logique d’efficacité et de productivité qui domine déjà l’éducation. Comment pouvons-nous contrer cette tendance et utiliser l’IA pour promouvoir la pensée critique, la créativité et la collaboration ?

Carlos : La technologie vise intrinsèquement l’efficacité. Depuis quelques décennies, on observe une rationalisation technocratique de l’éducation : standardisation des processus, fixation d’objectifs d’apprentissage, mesure des performances à travers des indicateurs comme PISA. Si cela aide à gérer la complexité, cela risque aussi d’éroder l’essence de l’éducation, qui est fondamentalement incertaine. Apprendre est imprévisible et social. Réduire l’apprentissage à des résultats mesurables appauvrit l’expérience éducative.

Jordi : C’est la différence entre gérer l’éducation comme une entreprise avec des KPI et embrasser sa nature organique, parfois désordonnée.

Carlos : Exactement. Trop de contrôle peut étouffer la curiosité et l’exploration. L’éducation doit aider les élèves à naviguer dans l’incertitude, pas à l’éliminer. L’IA peut soit soutenir cette vision, soit renforcer un modèle réducteur et trop structuré.

Personnalisation : promesse ou piège ?

Jordi : Tu as aussi remis en question la promesse de l’apprentissage personnalisé grâce à l’IA. Quels risques vois-tu, notamment dans les systèmes scolaires sous-dotés ?

Carlos : La personnalisation est depuis longtemps un mantra marketing. Le risque, c’est qu’elle devienne simplement un chemin plus efficace vers les mêmes résultats standardisés : tout le monde atteignant les mêmes objectifs, mais par des voies légèrement différentes. Ce n’est pas une vraie personnalisation. La véritable éducation doit ouvrir des possibles, pas les restreindre. Un autre risque est l’individualisation : isoler les apprenants dans des parcours algorithmiques, ce qui nuit à l’aspect social de l’éducation. Dans les contextes favorisés, les élèves peuvent bénéficier d’un apprentissage riche et interactif. Dans les milieux défavorisés, on risque de proposer un enseignement automatisé, uniforme, ce qui pourrait accentuer les inégalités éducatives.

Jordi : C’est une vraie inquiétude. Ceux qui ont plus de moyens accèdent toujours à une meilleure éducation, et maintenant l’IA pourrait encore creuser cet écart.

Carlos : Exactement. Pense aux dirigeants de la tech qui envoient leurs enfants dans des écoles Waldorf — des environnements low-tech qui valorisent la créativité et l’interaction. Pendant ce temps, dans les régions moins aisées, les gouvernements pourraient se tourner vers des systèmes automatisés à bas coût qui privilégient l’efficacité au détriment de la richesse et de la profondeur. C’est un système éducatif à deux vitesses.

Les « coutures » dans la relation entre IA et éducation

Jordi : Parlons de ton livre IA y Educación. Una relación con costuras. Que veux-tu dire par « coutures » dans cette relation ?

Carlos : La métaphore s’est imposée d’elle-même. La technologie cherche des expériences sans couture — fluides, invisibles, lisses. Et c’est très bien à bien des égards. Mais apprendre nécessite de la friction. C’est la lutte pour comprendre, l’effort d’exprimer, l’inconfort face à l’inconnu. Si l’IA élimine toutes les coutures, elle risque de supprimer ce qui est nécessaire à un apprentissage profond. Il y a aussi un autre sens : l’éducation révèle les coutures du monde — elle nous aide à voir ce qui est caché, à questionner les structures de pouvoir, à découvrir ce qui se trouve sous la surface. C’est crucial à une époque où l’IA peut masquer ou simplifier des réalités complexes.

Jordi : Cela a beaucoup de sens. Même l’idée d’absence de couture est souvent une illusion. Rien n’est vraiment sans couture — il y a toujours du travail en coulisse.

Carlos : Absolument. Dans la tech, les ingénieurs travaillent dur pour cacher cette complexité. Mais dans l’éducation, rendre tout « invisible » peut être dangereux. Si l’IA devient une boîte noire, les éducateurs perdent leur pouvoir d’agir. Ils doivent comprendre comment fonctionnent les algorithmes, pas seulement les utiliser. Sinon, on risque de renforcer un apprentissage superficiel et de saper le véritable objectif de l’éducation.

Retour aux bases : comprendre l’IA et ses fondements

Jordi : J’ai récemment dit à quelqu’un à la télévision qu’on ne devrait pas enseigner « l’IA » en tant que telle aux enfants — mais plutôt les concepts sous-jacents : vecteurs, matrices, trigonométrie. L’IA n’est pas de la magie, c’est des maths.

Carlos : Je suis tout à fait d’accord. Les enfants doivent comprendre la pensée computationnelle, pas seulement utiliser des outils d’IA à l’aveugle. Le danger, c’est que l’IA renforce la pensée algorithmique — des processus étape par étape sans compréhension. Ce n’est pas le but. L’éducation doit viser la compréhension profonde, que ce soit en maths ou en histoire. Par exemple, appliquer la formule quadratique est une chose ; comprendre comment elle a été développée au fil des siècles en est une autre.

Jordi : Je me souviens qu’on m’a enseigné cette formule comme un acquis, sans explication de son histoire ou de sa dérivation. Mais ces concepts sont le fruit de siècles de réflexion et de progrès.

Carlos : Exactement. Heureusement, la pédagogie moderne va vers cette compréhension plus profonde. Les parents peuvent être déconcertés quand leurs enfants apprennent les maths différemment, mais c’est souvent parce qu’on leur enseigne à comprendre le « pourquoi », pas seulement le « comment ». L’IA pourrait renforcer d’anciennes méthodes d’enseignement dont on essaie justement de s’éloigner. Il faut rester vigilants.

Dernières réflexions et comment rester en contact

Jordi : Carlos, merci beaucoup pour cette conversation passionnante. Je sais que tu es occupé, alors une dernière question : comment les gens peuvent-ils te contacter ou continuer à suivre ton travail ?

Carlos : Je suis facile à trouver en ligne. Les gens peuvent me contacter sur LinkedIn, sur X (anciennement Twitter), ou via mon blog. Il suffit de chercher mon nom complet, Carlos Magro Mazo, pour tomber sur mes travaux. J’essaie de rester accessible et ouvert à la discussion.

Jordi : Merci encore, Carlos. C’est toujours un plaisir d’échanger avec toi. Et à notre audience, ne manquez pas notre prochain épisode — un autre invité spécial arrive bientôt. À la prochaine sur le podcast Torras AI !

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